jeudi 4 octobre 2018

CRITIQUE #4 - Hiroshima mon amour (1959): le calme après l'explosion

Hiroshima mon amour, réalisé par Alain Resnais, nous raconte l'histoire d'un homme japonais (Eiji Okada) et d'une femme française (Emmanuelle Riva) à Hiroshima, une histoire d'amour passionnée et impossible. Il y a tout d'abord le fait que tous deux soient mariés, mais aussi que la jeune femme est présente à Hiroshima uniquement pour le tournage d'un film sur la paix. Le tournage s'étant fini, l'actrice doit rentrer à Paris dans moins de 24 heures. Ces dernières heures vont permettre au jeune homme de se donner corps et âme dans un jeu de séduction ayant pour objectif de faire durer cet amour improbable, et faire perdurer le séjour de la Française au Japon.

Sous cette histoire assez banale se cache en réalité une vraie profondeur, qui débute dès la première scène. Il est de ces scènes d'ouverture remarquables, marquantes et intemporelles. Celle d'Hiroshima mon amour en fait partie. Elle dure une quinzaine de minutes, durant laquelle on reste sans voix. Cette fameuse scène est narrée par la belle voix de Emmanuelle Riva, cette dernière racontant son voyage à Hiroshima ainsi que quelques faits sur l'histoire de la ville, des risques liés à la radioactivité, le tout d'une voix douce, lointaine, détachée et pourtant si puissante. Pendant ces 15 minutes, jamais on ne voit le visage de la jeune femme ni celui de l'homme qui lui répond quelque fois. On ne voit, pendant ce discours poignant, que des lieux d'Hiroshima, des enfants malformés, des femmes brûlées par la bombe, des hommes agonisant, cette horreur parfois coupée par des images de corps enlacés, qu'on devine être ceux des deux acteurs. La femme, pendant tout ce passage, se targue "d'avoir vu, de savoir", ce à quoi l'homme ne cesse de répondre "tu n'as rien vu, tu ne sais pas". Cette première scène plante ainsi le décor, celui d'un film qui se situe entre documentaire et fiction, entre histoire d'amour et engagement pacifiste.

En effet, le film ne cesse de jouer avec l'allégorisation des personnages principaux, un couple qui n'a pas le droit d'exister à cause du passé (une famille déjà existante), une certaine manière de nous rappeler la frontière entre Japon et France, ennemis de guerre. Les personnages osent sans vraiment oser, la jeune femme est en plein dilemme et nous emmène avec elle. S'il est si facile de s'identifier aux personnages, c'est notamment grâce à l'ingéniosité du scénario de Marguerite Duras qui nous propose une mise en abyme entre le medium cinématographique et la jeune femme qui est actrice dans un film sur la paix entre Hiroshima et le monde. Cet entremêlement des situations nous poussent parfois à nous demander si l'image à l'écran relève de la pure fiction ou si elle a été tirée d'un documentaire sur Hiroshima, si bien qu'une fois la fiction nettement définie, nous sommes déjà aux crochets de la narration d'Emmanuelle Riva. Cette dernière a par ailleurs un jeu incroyable, quoique son ton un peu hautain m'ait parfois fait un peu décroché. Okada n'est pas aussi bon, mais garde un jeu fort correct, qui contraste tout de même avec Riva.

L'esthétique du film est superbe, mais n'excelle vraiment que dans les paysages d'Hiroshima et ses lumières nocturnes. On peut aussi critiquer une image qui tire légèrement trop vers les tons noirs, en soit une image plus sombre qu'elle ne devrait être pour que l'on en prenne réellement plein la vue. Les dialogues sont filmés de manière assez classiques, quoique certains mouvements de caméra soient assez modernes pour l'époque. En ce qui concerne la musique, elle est présente mais très peu remarquable. Ce fait peut opposer deux visions: la première serait de dénoncer le mauvais choix des musiques, la deuxième serait de dire que les dialogues nous happent trop pour faire réellement attention à la musique. J'opte plus pour la deuxième.

 Avec sa narration d'une précision chirurgicale et la profondeur cachée du film, d'autant plus révélée par la dernière scène, le film est un vrai plaisir cinématographique et un excellent film français, un must see.


Emmanuelle Riva et Eiji Okada dans Hiroshima mon amour

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